Photos anciennes : baptême en 1951 des enfants de la famille Angeli/Laurens

Deux photos légendées confiées par Raymond Henrard,où beaucoup se reconnaîtrons ou reconnaîtrons de chers disparus. Les images sont figées, mais nos esprits leur redonnent leur chair.
1951 : Baptême des enfants de la famille Angeli/Laurens, photo prise devant la chapelle Saint Jean, à Pietricaggio.

Debout de gauche à droite : le prêtre célébrant, Jeannette Battesti, épouse de Jean-Thomas Battesti, Jean-Baptiste Angeli, Jacqueline Laurens, Philippa Marcelli, Jeannette Angeli, Michel Laurens, Hyacinthe Angeli, Angèle Zucherelli,  Antoinette Henrard, Jacques Angeli.
Au premier rang : Evelyne Battesti, Jean-Thomas Battesti (père de Nanou Battesti)

Sur le perron de la maison de famille, à Pietricaggio, le jour du baptême en 1951 des enfants de la famille Angeli/Laurens.

De gauche à droite : Julien Battesti dans les bras de son oncle Jean-Thomas, Jules Battesti, Raoul Laurens (père de Jacqueline, Antoinette, Michel, Evelyne, Madeleine n’est pas encore née), Lulu Battesti, Angeli Charles-Joseph (père et grand-père des Angeli/Laurens), Hyacinthe et sa femme Jeannette, Michel dans les bras de Jean-Baptiste, Hyacinthe Battesti.

La toile de Marinette

De nombreuses familles de notre village recèlent dans leurs tiroirs ou leurs greniers de véritables trésors. Il ne s’agit ni d’or ni d’argent, ni de pierres rares, mais d’objets témoignant du patient travail des ancêtres, dont la valeur n’est pas commerciale, mais digne d’un grand respect, tant ces « objets inanimés » nous renseignent sur ce que pouvaient être les vies des anciens habitants de notre village.

Marinette présente les pièces de lin qu’elle conserve précieusement

Lorsque Marinette Carbuccia, 97 ans et toujours bon pied bon œil, fait partager la pulenda à ses convives,  on renverse la bouillie brûlante de farine de châtaignes sur une toile de lin blanc. Selon Marinette, ce linge a été tissé avant sa naissance, par sa grand-tante Irène, la soeur de son grand père.

Les fibres serrées de la pièce de lin

Plus respectable encore, les fibres  qui composent ce linge viennent du lin planté, récolté, roui et teillé à Nocario, à une époque où nombre de villages de Castagniccia vivaient presque en autarcie.

L’évocation de l’histoire de cette modeste pièce de tissu a réveillé dans le cœur de Marinette le souvenir de celle qui la tissa, Tante Irène, que Mme  Carbuccia porte haut dans son affection et sa reconnaissance, car comme cela arrivait dans les familles, cette grand-tante n’eut « jamais le temps de se marier », bien qu’un prétendant l’ait attendue toute sa vie. C’était elle qui s’occupait de ses 6 neveux et nièces pour permettre à la famille d’assumer tous les travaux de subsistance. C’est d’ailleurs en honneur de cette femme remarquable que l’une des filles de Marinette porte son nom.

Le bassin où se faisait le rouissage est depuis longtemps comblé. Marie-Noëlle, nièce de Marinette, possède encore le rouet qui servait à filer les fibres de lin.

L’ancien rouet

Avec ces quelques pièces de tissu, c’est tout ce qu’il reste de cette activité de tissage dont on admire aujourd’hui le savoir-faire villageois. Avoir sur cela un regard attentif et reconnaissant est bien le moindre remerciement qu’on peut exprimer aujourd’hui, où si l’on est dans de beaux draps, ce ne sont plus ceux fabriqués par les mains fortes, expertes et patientes de nos ancêtres.

 

Souvenirs de Solane

Eau et lumière

S’il est un bâtiment bien connu des habitants du village de Nocario, hormis les trois chapelles et l’église pievane de Saint Michel, c’est la grande maison blanche solitaire bien assise au bord de la route qui mène au hameau de Celle e Petricaggio, à moins de deux cents mètres de la mairie, une fois dépassé le cimetière communal. Sa blancheur exacerbe la lumière du soleil dont elle capte les rayons du matin au soir en raison d’une exposition plein sud qui n’est d’ailleurs pas le seul privilège dont son emplacement profite. Juste au-dessus de la maison, les habitants d’Erbaggio, lorsque l’eau courante n’alimentait pas le hameau, venaient puiser l’eau fraîche à la fontaine dite « Erbalinca », une eau propice à l’irrigation des jardins et de la maison de Solane, la bien-nommée, qui aura été du milieu des années 30 au début des années 70 le florissant commerce où plusieurs générations ont cueilli les multiples souvenirs d’un lieu de rencontre et de vie villageoise.

Trois générations pour un commerce

Robert Stefani, propriétaire aujourd’hui de la maison avec sa sœur Janine et son cousin François-Mathieu, fils de Martin, nous rappelle que c’est son arrière-grand-père, Ours-Jean Stefani, natif de Carcheto, qui en 1878 épousa en seconde noce une fille de Petricaggio, Jeanne-Marie Estelle Giovanni, dont la famille possédait les terres de Solane. C’est lui qui édifia le grataghiu que l’on voit encore aujourd’hui, et en 1888 deux pièces de la maison actuelle dont une pièce à vivre, dans la tradition du pays d’Orezza, avec fugone et claie de séchage, (a grate), feu ouvert qui couvrait les murs d’une épaisse et brillante couche de suie.

Ours-François STEFANI, né en 1878

Le grataghiu construit par Ours-Jean est le début d’une activité commerciale qui allait durer jusqu’en 1972. Un accident prive son fils, Ours-François, de la vue, ce qui contraint Charles-Marie (Carlu-Maria) à succéder à son grand-père à l’âge de dix-huit ans, son frère Ours Jean étant déjà instituteur et ses autres frères, Mathieu, Martin et Benoît encore trop jeunes pour cela. Carlu-Maria épouse Marie-Cécile (Cicilia), native de Pastoreccia.

Cicilia e Carlo Maria en 1964

Ils auront 5 enfants, tous nés dans cette maison : Ange Francois (Fanfan), Pascal, Marie, Janine et Robert, qui nous confie aujourd’hui le souvenir de Solane. Ours Jean, l’instituteur, est en charge de la gestion, Carlu Maria s’occupe de la boulangerie et des travaux extérieurs, Benoît, époux de Louisette Doria native de Petricaggio, de la boucherie. Félicité, leur soeur, jusqu’à son mariage, puis Cécile, sont à la vente.

Marie, dite « Many », institutrice du village pendant quelques années

Cette famille va animer un commerce qu’aucun des nocariais ayant vécu à cette époque, y compris les habitants occasionnels des mois de vacances, ne peut avoir oublié.

On trouve tout à Solane

La seule photographie de la boutique en possession de Robert. Janine, sa soeur.

Les activités commerciales sont nombreuses :  outre la

L’entrée actuelle de l’ancienne boulangerie

boulangerie et la boucherie, on trouve au magasin de l’épicerie, de la papeterie, de la confiserie, de la droguerie, de la parapharmacie, de la parfumerie. On peut se fournir en vêtements, en chaussures, et en matériaux de construction et quincaillerie. De plus, il est fréquent de rencontrer des habitués de la buvette, tant il est agréable de partager un pichet de vin sous la tonnelle, car on vend également des vins et des spiritueux.

Benoît et son chien. A l’arrière-plan, les fûts de fioul destinés au chauffage du four à pain.
La 2CV des Stefani avec en arrière-plan la Renault « Prairie » qui permettait d’assurer les tournées

Une Renault « Prairie » (il y en eut plusieurs pour assurer la continuité du service) sert à assurer la distribution du pain dans une grande partie du canton d’Orezza (Orezza subrana) jusqu’à Carcheto. On cuit 300 pains de 750 g chaque jour. Benoît se fournit en bêtes de boucherie dans toute la Haute-Corse. Il faut aussi assurer la subsistance des familles, nombreuses, et de tous ceux qui travaillent et vivent à Solane : deux boulangers, un jardinier, André, un enfant de l’assistance publique accueilli dans la famille, et dix ramasseurs de châtaignes lorsque vient la saison. On loge tout ce monde dans les 20 pièces de la maison, le jardinier vient tous les jours à pied de Polveroso pour cultiver le potager, on tue huit cochons chaque année pour les besoins des habitants de Solane.

Crédit n’est pas mort pendu

Couverture du cahier de jour des mois de juin et juillet 58
Une page du cahier de jour où sont consignés les ventes quotidiennes

Le calcul du prix de vente des marchandises transportées depuis Bastia par un petit camion Renault ou par l’entreprise Marcelli est très simple. On ajoute au prix d’achat 10%, soit 2% pour le transport et 8% pour le bénéfice. Le panonceau désormais désuet « la maison ne fait pas de crédit » n’a aucune raison d’être à Solane. Au contraire, le crédit est le mode de paiement quasi systématique. Beaucoup de clients sont pensionnés, et c’est en fin de mois, lorsque parvient la pension, que le compte de tout ce qui a été acheté est présenté au débiteur, qui règle sa dette, s’il le peut, ou propose une compensation sous forme de services, comme des jours de labour, ou par un troc quelconque. Cela exige une patiente et minutieuse tenue d’un cahier de jour où sont notés tous les articles vendus et à quelle personne, et le report dans un livre de compte où chaque débiteur a sa fiche de dépense, mois par mois.

Le cahier de comptes où les dépenses de chaque client sont répertoriées, mois par mois.

Reste à présenter l’extrait du livre de compte au client lors du règlement. Chacun peut imaginer l’ensemble du travail d’écriture auquel étaient contraints ceux qui en avaient la charge …

Nostalgia

Lorsque Carlu-Maria Stefani mourut en 1973, à l’âge de 71 ans, ses plus jeunes enfants, Robert et Janine, les seuls qui auraient pu alors envisager une continuité à l’activité, ne voyaient pas d’avenir à ce commerce, la vie de la commune ayant suivi l’évolution de la démographie, de l’économie et des mœurs. Le magasin de Solane a cessé d’ouvrir son comptoir, de chauffer le four de la boulangerie, de couper la chair des animaux sur le billot de bois. Il reste la grande maison blanche éblouissante sous le soleil, confortable, et embellie par les descendants de la famille Stefani, dans le silence paisible d’une nature où l’on se prend à rêver d’une vie nouvelle, riche d’enfants, de travail et d’abondance.